La fiscalité au Maroc selon le conseil économique et social
Auteur : Conseil économique et social
L’un des documents les plus intéressants réalisé par le conseil économique et social CES aura été consacré à la fiscalité. Il s’intitule « Le système fiscal marocain, développement économique et cohésion sociale ».Publié au mois de novembre (2012), il a le mérite d’avoir soumis au débat public la plupart des problématiques de la fiscalité marocaine et ce, malgré toutes les limites et les insuffisances qu’on pourrait imputer à un tel travail. « Le système fiscal marocain souffre de carences importantes, dans sa pratique et la gestion de la relation entre l’Administration fiscale et les citoyens, ainsi que dans l’incivisme fiscal qui fait que de grands pans de l’activité et de nombreux contribuables continuent d’échapper à l’impôt. » Ainsi le conseil qualifie-t- il la situation. S’interrogeant sur la capacité du système fiscal à être un facteur favorisant la production nationale et dans quelle mesure l’impôt pourrait être perçu comme un facteur de création de lien social et de solidarité, il révèle les soucis de ses rédacteurs ; le déclin visible de la classe dite moyenne et ses effets sur le tissu social.
Le rapport part déjà d’un contexte décisif, Les réalités du marché international exigent la réforme des mécanismes majeurs qui régulent l’économie marocaine : système fiscal, système de protection sociale, système de compensation, système de solidarité, système de péréquation régionale dans le cadre de la nouvelle politique de régionalisation... Ces mécanismes sont interdépendants affirme- t- il , parce qu’ils sont tous basés d’un côté sur le principe du prélèvement (impôts, cotisations sociales, taxes), et de l’autre sur les mécanismes de redistribution des ressources. l’actuel système fiscal marocain est issu de la loi-cadre12 n° 3-83 relative à la réforme fiscale adoptée par la chambre des représentants le 20 décembre 1982.
La réforme des années 80 dont les principes ont été énoncés par et promulguée par le dahir n° 1-83-38 du 23 Avril 1984 ; elle s’est traduite par un élargissement de l’assiette et l’introduction de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) en 1986; puis l’impôt sur les sociétés (IS) en 1988 et enfin l’Impôt Général sur le Revenu (IGR) en 1990. Depuis, de nombreuses réformes ont été introduites par les lois de finances successives de 2000 à 2011 dont le résultat a été:
- Réforme des droits d’enregistrement en 2004
- Amorce de la réforme de la TVA en 2005
- Élaboration du livre des procédures fiscales en 2005
- Élaboration du livre d’assiette et de recouvrement en 2006
- Regroupement des textes fiscaux dans un même volume : le Code Général des Impôts édité en 2007
- Intégration de la taxe sur les actes et conventions dans les droits d’enregistrement en 2008 ;
- Élaboration de la note circulaire globale publiée finalement en 2011.
Aujourd’hui, le nombre des impôts et taxes n’est pas aberrent en soi (environ 79 recensés). A titre de comparaison, le système fiscal Français compte plus de 214 prélèvements obligatoires en 2008.Mais on s’interroge surtout sur son efficience et ses missions de régulations.
Comment les recettes fiscales se structurent aujourd’hui ? Tandis que la part des impôts directs dans l’ensemble des recettes fiscales connait une sensible régression (43% en 2011 au lieu de 45% en 2006), la part des impôts indirects dans l’ensemble des recettes fiscales passe de 38% en 2006 à 44% en 2011. Quant à la part des droits de douane, elle enregistre une régression en passant de 11% en 2006 à 6% en 2011.
Les recettes fiscales totales ont atteint 173,5 milliards de dirhams en 2010 au lieu de 167,3 milliards en 2009, soit plus de 6 milliards de dirhams de recettes supplémentaires. L’année 2011 a enregistré également des recettes additionnelles par rapport à 2010 de plus de 10 milliards de dirhams pour atteindre 184,3 milliards de dirhams.
Evolution de la structure fiscale
| 2009 | 2010 | 2011 |
Impôts directs | 41,5% | 35,9% | 36,9% |
Impôts indirects | 51,7% | 56,8% | 56,4% |
Enregistrement et Timbre | 5,4% | 5,8% | 5,7% |
Majorations | 1,4% | 1,5% | 0,9% |
total | 100 | 100 | 100 |
Selon ce rapport la dominance des impôts indirects est conforme à la tendance observée dans certains pays développés ou en développement comme la France, Turquie et la Tunisie. En effet, en France, la TVA à elle seule nette des remboursements représente près de 51,33% des recettes fiscales.
Comment se présente la pression fiscale au Maroc ? Si l’on croit ce rapport, elle est en train de diminuer passant de 26,9% en 2008, à 22,8% en 2009 et 2010.A titre de comparaison, les recettes fiscales rapportées au PIB pour les pays analysés se présentent comme suit :
Pays | Maroc | Tunisie | Turquie | France | Espagne | Roumanie | Finlande |
Pression fiscale | 22,80% | 21,20% | 22,00% | 42,90% | 31,70% | 19,10% | 42,10% |
Mais à regarder de plus près, il y a quand même des déséquilibres flagrants dans notre système .Au Maroc 82% des recettes de l’I.S proviennent de la performance de 2% des sociétés et 73% des recettes de l’I.R sont perçues sur les salariés du secteur public et privé. La faible contribution des personnes physiques non salariées (commerçants, entrepreneur exerçant à titre individuel, professions libérales) est très remarquée.
Evolution du nombre des contribuables
De même, la TVA ne touche pas de grands pans de l’activité économique. Des circuits entiers de production ou de distribution restent en effet en dehors du champ des impôts, alourdissant d’autant la part supportée par le secteur formel, et plus particulièrement les entreprises les plus transparentes.
Une autre remarque concerne spécifiquement la fiscalité locale, formée d’une multitude d’impôts et taxes, lourds à gérer et d’une faible rentabilité.
Au niveau des dépenses fiscales au Maroc le rapport constate notamment la prédominance des dérogations au profit des activités immobilières. Au nombre de 41 mesures, elles enregistrent une hausse de 22,0 % et représentent 16,9 % des dépenses fiscales évaluées en 2011. Les dépenses fiscales afférentes aux conventions conclues avec l'Etat se rapportant à l’exonération de tous impôts et taxes au profit des programmes de logements sociaux en cours, s’élèvent à 1.126 MDHS, dont 798 MDHS pour la T.V.A et 328 MDHS pour l'I.S.Les dépenses concernant l’agriculture sont estimées à 4,3 milliards de MAD et représentent 13,4% des dépenses fiscales totales, alors qu’elles ne présentent que 2% des recettes fiscales totales (hors TVA des collectivités locales).Le rapport expose la question de la fiscalité dans le secteur agricole . Il appelle à une étude approfondie pour la mise en place de la fiscalité agricole à lancer rapidement. Soulignant l’importance de l’évaluation régulière des effets du système fiscal en général ; Il a mis en exergue la nécessité et la pertinence de la qualité de l’information sur les dépenses fiscales pour plus de contrôle de leur efficacité.
Il note aussi que la pratique du système fiscal reflète une relation conflictuelle entre l’administration et les contribuables ne facilitant pas l’adhésion à l’impôt… Il reconnait que « le contrôle n’est pas en effet orienté vers les contribuables les moins transparents et opérant dans l’informel ou l’opacité » !De nombreuses critiques sont donc formulées à l’égard du contrôle fiscal et des voies de recours mises en place jugées non efficaces. La même critique est également formulée à propos du système des sanctions.
Le tableau et le graphique ci-après récapitulent l’évolution par rapport à l’importance du revenu des taux effectifs d’imposition des différents revenus et gains
Revenu ou gain Brut | Salaires sans charges Sociales | Salaires avec charges Sociales obligatoires | Dividendes | Intérêts | Loyers | Plus Values |
2 500,00 | 0% | 22% | 37% | 30% | 0,00% | 20% |
5 500,00 | 4% | 24% | 37% | 30% | 1,45% | 20% |
8 000,00 | 9% | 26% | 37% | 30% | 3,68% | 20% |
8 500,00 | 10% | 27% | 37% | 30% | 4,27% | 20% |
10 000,00 | 13% | 28% | 37% | 30% | 6,33% | 20% |
11 000,00 | 14% | 29% | 37% | 30% | 7,39% | 20% |
14 000,00 | 18% | 31% | 37% | 30% | 10,16% | 20% |
16 666,66 | 20% | 32% | 37% | 30% | 11,80% | 20% |
20 000,00 | 23% | 34% | 37% | 30% | 13,24% | 20% |
25 000,00 | 26% | 37% | 37% | 30% | 14,67% | 20% |
30 000,00 | 28% | 38% | 37% | 30% | 16,02% | 20% |
36 000,00 | 30% | 39% | 37% | 30% | 17,15% | 20% |
70 000,00 | 34% | 42% | 37% | 30% | 19,90% | 20% |
80 000,00 | 34% | 43% | 37% | 30% | 20,00% | 20% |
100 000,00 | 35% | 43% | 37% | 30% | 20,77% | 20% |
200 000,00 | 37% | 44% | 37% | 30% | 21,78% | 20% |
Ce tableau fait ressortir notamment que :
- Les revenus fonciers sont les moins imposés ;
- L’imposition des revenus de travail tend à s’égaliser avec celle des dividendes mais uniquement à partir d’un niveau de revenu très élevé ;
- La prise en compte des charges sociales alourdit le niveau des prélèvements sur les salaires.
Le rapport retient aussi que la répartition des recettes générées par l’IR entre les salariés et les autres contributeurs montre la concentration de la charge fiscale sur les salariés sans pour autant qu’il soit démontré que les revenus perçus par ces derniers soient plus important que les revenus et profits réalisés par les autres contribuables.
Le rapport indique que les statistiques officielles en 2011 indiquaient que 115 000 entités soumises à l’IS déclarent un déficit de manière répétitive, soit 65% de la population totale d’assujettis. Une situation d’autant plus anormale que 2% des entreprises paient 80% de l’IS.
Le redéploiement fiscal peut être difficilement réalisé sans l’intégration du secteur informel dans le champ de l’impôt. La lutte contre l’informel ne saurait se faire par la sanction. Pour cela, les avantages que procure la légalité doivent être suffisamment attractifs et lisibles.
Parmi les recommandations finales de ce rapport, la revendication d’une fiscalité qui s’articule de manière forte avec les autres axes des politiques ; l’amélioration de la transparence des pratiques fiscales, une fiscalité qui permet de lutter contre la spéculation ; et encourage le secteur productif et l’investissement… le rapport estime aussi que la programmation fiscale et une meilleure connaissance du patrimoine et des engagements de l’Etat sont les garants d’une fiscalité plus claire.