Focus sur L’entrepreneuriat des jeunes au Maroc

Focus sur L’entrepreneuriat des jeunes au Maroc

Etre un entrepreneur, dans la vision schumpetérienne, c’est être capable de prendre des risques dans un environnement incertain. Au Maroc, la transition vers l’âge adulte s’effectue de manière incertaine et précaire1, mais les jeunes entrepreneurs observés dans le cadre du projet SAHWA2 contredisent cette tendance en accentuant encore plus la prise de risque et le degré d’incertitude. Quelles sont les caractéristiques de ces jeunes entrepreneurs et dans quels contextes économiques, sociaux et culturels évoluent-ils ? Telles sont les questions centrales auxquelles notre étude a tenté de répondre. Ce papier reprend notamment les principaux éléments d’analyse et résultats y afférents.

 

Deux focus group organisés, l’un avec divers jeunes entrepreneurs, l’autre avec des acteurs institutionnels ; deux entrepreneurs que l’on a suivis régulièrement pendant deux mois ; une immersion dans l’enseignement de l’entrepreneuriat en université ; des observations d’un jeune groupe de leaders marocains qui incluait des jeunes porteurs de projets sur une année, nous ont permis d’extraire l’ADN de ces jeunes, leurs visions, leurs peurs ou leurs attentes. Les populations sondées nous ont également permis de mettre en lumière le contenu et la nature de la chaîne de valeur entrepreneuriale au Maroc pour les jeunes évoluant dans un contexte difficile malgré une amélioration du climat des affaires.

 

Contexte entrepreneurial au Maroc

 

Lancer une activité business au Maroc comprend en moyenne quatre étapes, dure dix jours, coûte 9,1% du revenu par habitant et n’exige aucun capital minimum à verser. Ces indicateurs demeurent plus encourageants en moyenne que dans les autres pays de la région, où dix-neuf jours sont nécessaires pour le lancement d’une activité commerciale avec un coût de 26% du revenu par habitant. En revanche, le Maroc est classé 109e lorsqu’il s’agit de l’obtention d’un crédit de financement.

 

L’entrepreneuriat constitue le pivot des dynamiques sociales d’un pays (Fayolle, 2012). Cependant, le développement entrepreneurial demeure relativement faible dans le pays, et ce, malgré plusieurs initiatives nationales (Binkkour, 2012). Une des rares études portées sur l’intention entrepreneuriale au Maroc montre que 74% des étudiants du cycle supérieur ont une idée de création d’entreprise, et 35% d’entre eux considèrent l’entrepreneuriat comme potentiellement un revenu stable. Une étude menée par Fondapol en 2011 a souligné le fait que les jeunes marocains (16-29 ans) espèrent d’ici quinze ans créer leur propre entreprise. Nous pouvons déduire à travers ces éléments que l’intention entrepreneuriale au Maroc est élevée, surtout si elle est supportée par un environnement favorable (université, famille, amis…) (Koubba & Sahibeddini, 2012). En dépit d’une orientation et d’une intention entrepreneuriale suffisamment élevées, les démarrages d’entreprise restent faibles et concentrés pour la plupart chez les jeunes ayant un niveau d’éducation élevé. Deux raisons principales expliquent cet état de fait : la difficulté d’accès au financement et la localisation des structures accompagnatrices trop centralisée sur l’axe Rabat-Casablanca. À ces faits s’ajoute l’importance du secteur informel dans l’économie marocaine, préjudiciable au développement de l’entrepreneuriat formel. Cependant, les efforts de structuration de l’entrepreneuriat marocain, même s’ils demeurent disparates, pourraient trouver dans la création du statut d’auto-entrepreneur et la recrudescence du e-business3 des leviers non négligeables.

 

Acteurs institutionnels et entrepreneurs

 

Si certains axes de structuration augurent des améliorations possibles quant au développement de l’entrepreneuriat au Maroc marqué par une intention entrepreneuriale plutôt élevée, notre étude ethnographique permet de toucher du doigt certaines réalités utiles à la compréhension du phénomène dans sa globalité. En ce sens, le choix a été porté sur l’étude des actions, des moyens et des objectifs des cibles « structure accompagnatrice » et « jeunes entrepreneurs ».

 

Les ONG dont la mission est de développer l’entrepreneuriat, ses compétences et le mentorat, les fondations affiliées aux banques, les plateformes de financement participatif (crowdfunding) partagent la même mission fondamentale, à savoir inspirer les jeunes à devenir entrepreneur. Ces acteurs axent en premier leurs efforts sur l’inspiration avant même d’apporter des conseils pratiques et managériaux, tout en pointant les dérives du système scolaire, inapte à créer des conditions favorables à l’éclosion de futurs entrepreneurs. Les jeunes interrogés rejoignent ces derniers en mettant l’accent sur une culture « fonctionnaire » effaçant d’emblée les compétences, la posture et l’esprit nécessaires à adopter pour l’orientation entrepreneuriale. La transmission des valeurs entrepreneuriales et la formation spécifique à ce type d’activités ressort en effet de notre étude comme un point focal s’insérant dans un problème systémique découlant par ailleurs des environnements économiques, sociaux, culturels et familiaux handicapants. Somme toute, tant au niveau des acteurs accompagnateurs que des jeunes entrepreneurs, il est reconnu que l’intention et l’orientation entrepreneuriale est favorisée par des micro-environnements (amis, existence de structures accompagnatrices type ONG dans le cycle supérieur), ou que des jeunes entrepreneurs lancent de nouvelles activités alors qu’ils ne sont pas issus d’une famille d’entrepreneurs. Nous sommes en prise avec un « patchwork entrepreneurial » difficile à cerner, mais qui dénote d’une difficulté d’arrimage des jeunes porteurs d’idée, brimés par une incertitude grandissante, et des lacunes au niveau des compétences managériales (business plans, marketing, communication, finance, savoir-faire technologique, etc.).

 

Le volontarisme émerge comme une composante essentielle de notre étude, tant au niveau des structures entrepreneuriales qui s’efforcent de connecter les entrepreneurs entre eux ou aux réseaux, que des jeunes entrepreneurs qui développent beaucoup de patience dans l’affranchissement des contraintes institutionnelles ou de la vie quotidienne et privée. Ces derniers sont plus animés par un grand besoin d’indépendance et de réalisation, deux finalités qui exercent un effet d’entraînement auprès d’autres jeunes désirant emprunter la voie entrepreneuriale. Ce qui nous amène à cette dimension particulière de l’entrepreneuriat au Maroc qui ressort de notre étude, celle de l’aspect collectiviste de cette population. En effet, le jeune entrepreneur en général n’entreprend pas seul : il a un besoin d’assistance, de coaching, de mentorat de la part des acteurs institutionnels, d’amis, d’associés ou de la famille. La famille joue ici un rôle prépondérant dans l’évolution de la trajectoire entrepreneuriale du jeune marocain. Pour la plupart des jeunes sondés, le désir de s’affranchir de l’autorité est élevé mais suppose beaucoup de négociations, voire de tensions. Se surpasser, réaliser ses projets, ne pas échouer, se délester de l’autorité parentale4 ou de celle du patron, tels sont les leitmotivs des jeunes entrepreneurs.

 

Jeunes entrepreneurs et le reste de la jeunesse marocaine

 

À travers leurs expériences, visions et filtres de perception, les jeunes entrepreneurs interrogés nous renseignent sur le découplage qui existe entre eux et le reste de la jeunesse marocaine. Ils se sentent à ce propos différents du reste de leurs congénères, état corroboré par les structures accompagnatrices qui confirment ces dissensions. « Nous n’avons pas les mêmes activités que les personnes de notre âge : nous ne sortons pas, nous ne restons pas tard à ne rien faire, et nous ne pensons pas à nos prochaines vacances. »

 

La sociologie de ces jeunes entrepreneurs issus de différents milieux est bien particulière en effet. Ils s’accordent sur leurs visions et ambitions. « J’essaye de convaincre mes collègues à l’université qu’ils devraient sortir de leur zone de confort. » « J’ai compris que je pouvais être un initiateur du changement. »

 

Ils ressentent expressément l’envie de changer leur pays par leurs actions entrepreneuriales, d’inspirer à leur tour de nouvelles générations à accomplir de grandes choses. Sauter la barrière du conformisme devient un gage de réussite malgré les contraintes. Cela n’empêche pas, bien entendu, qu’ils écoutent la même musique ou partagent les mêmes vidéos que le reste de la jeunesse, mais ils se reconnaissent entre eux sur bien des points et se sentent appartenir à un groupe partageant les mêmes valeurs qui dépasse les frontières de la jeunesse marocaine.

 

La peur de l’échec, les barrières familiales, les freins psychologiques, le manque de formation entrepreneuriale dès le plus jeune âge, et le manque de coordination entre les différents acteurs institutionnels restent les principaux handicaps au développement personnel dans la réalisation du jeune entrepreneur. Cependant, il a été noté que le volontarisme et l’enthousiasme des personnes interrogées, malgré le haut degré d’incertitude, rééquilibre quelque peu les enjeux de l’entrepreneuriat des jeunes vers une dynamique plus prometteuse.  

 

 

Notes

1.     Étude préalable interne menée par Caroline Minialai et Leila Bouasria sur le contexte marocain des jeunes entrepreneurs.

2.     SAHWA est un projet de recherche sur les jeunes arabes et méditerranéens. Il est partiellement financé par l’Union européenne et regroupe 15 laboratoires de recherche, dont le Cesem, centre de recherche de HEM, du Maroc. SAHWA s’inscrit, au Cesem, dans le cadre de ses cellules de recherche dédiées à « Entreprise, entrepreneuriat et innovation » et à « Classes moyennes et mobilité sociale », (voir http://eco.9al3a.com/content/sahwa).

3.     Le manque d’études et de données à ce sujet constitue un frein pour une analyse précise du phénomène. Cependant, nos observations sur le terrain nous amènent à émettre l’hypothèse selon laquelle le développement de nouvelles activités sur Internet est globalement du ressort des jeunes ayant un niveau d’éducation élevé.

4.     Surtout pour les femmes entrepreneurs.

 

Références

·         Binkour, M. (2012). La promotion de l’entrepreneuriat au Maroc : rôle de l’État et perception des entrepreneurs. Proceedings of the Colloquium Business and Entrepreneurship in Africa, 17-19 mai 2012, Université Laval.

·         Fayolle, A. (2012). Entrepreneuriat. Apprendre à apprendre. Deuxième édition Paris : Dunod.

·         FONDAPOL (2011). 2011 World Youths,
www.fondapol.org

·         Koubaa, S. & Sahib Eddine, A. (2012). L’intention entrepreneuriale des étudiants au Maroc : une analyse PLS de la méthode des équations structurelles. Actes du 11ème. Brest : CIFEPME.

  • Martin, I. et Bardak, U. (2013). Union pour la Méditerranée, étude régionale de l’employabilité le défi de l’emploi des jeunes dans la Méditerranée. Fondation européenne pour la formation.