Femmes et leadership : le préalable démocratique

Femmes et leadership : le préalable démocratique

Notre histoire est marquée comme ailleurs par quelques figures de proue. Des femmes leaders ont toujours existé, y compris chez nous. Et entre militantes d’aujourd’hui et celles d’hier, l’histoire nous apprend que le parcours est chaque fois insolite et surprenant ; on ne peut s’empêcher d’évoquer dans ce registre l’itinéraire d’une Malika Al Fassi (1919-2007), qui était aussi parmi les premières plumes journalistiques féminines. C’est à elle seule en tant que femme, qu’est revenu le privilège de la signature du fameux manifeste de l’Indépendance.

On citera aussi l’association « Akhawat Assafa » qui a vu le jour en 1946 et dont la création revient aux femmes issues du Parti démocrate de l’indépendance (PDI, Hizb Achoura). Cette association disposait d’antennes dans les grands centres urbains. Ses membres s’étaient illustrés déjà par leur combat pour l’adoption de juridictions équitables dans le cadre de l’institution matrimoniale. Il s’agissait, en l’occurrence, de revendiquer l’abrogation de la polygamie et de la répudiation, en mettant en place le divorce judiciaire, l’élévation de l’âge du mariage et la lutte contre les agressions auxquelles les premières femmes dévoilées faisaient face dans la rue.

La conquête progressive de l’espace public

Au Maroc, toutefois, la structure qui fonde la société a pendant longtemps exclu les femmes de l’exercice du pouvoir dans l’espace public. Il a fallu attendre l’accès des filles à l’école et son accélération après l’indépendance du Maroc à la fin des années 50 pour que commence à émerger la question de la participation des femmes dans l’espace public.

Avec l’arrivée des femmes sur le marché de l’emploi et du travail salarié, cette participation va prendre plus d’importance, ce qui a bouleversé les rôles traditionnels. La participation s’est faite d’abord par le biais des partis politiques, des syndicats et des associations. Certaines femmes, en fonction de leur appartenance politique, ont même subi les affres des années de plomb en tant que victimes de violation des droits humains. Elles se sont également imposées en tant que porte-parole de ces mêmes victimes. Bien que cette parole ne soit pas l’expression d’une revendication féministe, il n’en demeure pas moins qu’elle a été l’occasion de franchir un pas et d’inaugurer une ère nouvelle : celle où l’expression publique n’allait plus être l’apanage des hommes. Cette dernière s’est illustrée par la mobilisation du mouvement dit des familles des victimes dont les mères, épouses, sœurs et filles des détenus politiques ont joué un rôle important à l’adresse des décideurs mais également pour sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale1.

Le carrefour des années 80

La prise de parole publique a évolué vers la création des premières structures associatives féministes dans le milieu des années 80. C’est le moment qui coïncide avec l’émergence et par la suite la montée en puissance du leadership féminin. Si certaines organisations se sont d’emblée inscrites dans un projet féministe et ont posé les jalons de ce que deviendra le féminisme marocain, d’autres ont été acculées à créer des structures associatives parce que les structures partisanes qui les accueillaient les empêchaient d’occuper le devant de la scène.

Le leadership féminin au Maroc, particulièrement politique, a, de ce fait, donné lieu à deux tendances. La première est proposée par les militantes membres des partis politiques ayant rejoint le combat féministe tout en gardant des liens avec le parti ; la deuxième a choisi un investissement quasi exclusif au sein des organisations féministes. Les deux ont eu à coordonner des actions et des mobilisations d’une grande ampleur, notamment sur la réforme du code du statut personnel. Elles ont réussi à placer la question des droits des femmes au cœur du débat public et interpellé les décideurs au plus haut niveau de l’État. L’expérience riche du plaidoyer de ces deux tendances/composantes a permis également l’émergence au grand jour d’un leadership féminin. Il s’agit de l’expérience du réseau d’appui au plan d’action nationale pour l’intégration de la femme au développement et du réseau Printemps de l’égalité2. L’interpellation des pouvoirs publics sur la base de mémorandums et d’une large sensibilisation et mobilisation a permis à celles qui ont gardé des liens au sein des partis, de négocier leur positionnement dans les instances décisionnelles internes à travers l’adoption de mesures incitatives (quota) ; ce qui leur a permis par la suite de négocier les candidatures pour les élections législatives et communales.

Une visibilité meilleure à défaut de démocratie

L’entrée des premières femmes à l’exécutif et au parlement a encouragé les représentantes des différents courants politico-idéologiques à mener une mobilisation plus importante pour l’adoption de mesures et de lois garantissant une représentativité des femmes dans un certain nombre d’espaces et de structures de représentation politique. C’est le cas de la forte mobilisation qui a été menée par le Mouvement du tiers qui a regroupé un nombre important d’associations à l’échelle nationale. La visibilité fut de plus en plus assurée bien que l’accès et l’exercice des vrais pouvoirs soient loin d’être réglés. D’ailleurs, faut-il rappeler que dans le contexte politique marocain où le processus démocratique n’est qu’à son début, les vrais pouvoirs ne sont toujours pas encore entre les mains des représentants de la société.

Cependant, l’arrivée de plus en plus importante des femmes dans certains lieux de prise de décision, notamment dans le champ politique, essentiellement grâce à la mobilisation des militantes, renvoie à d’autres questions liées aux mécanismes de consolidation et d’élargissement du leadership féminin. L’examen des mémorandums du mouvement féministe3  montre que le plaidoyer a souvent porté sur une représentativité féminine fondée sur le critère des quotas, au lieu de positionner les femmes comme citoyennes, comme acteurs politiques à part entière. Au lieu de cela, les femmes ont été associées à une identité de genre, qui leur a imposé un statut d’infériorité.

La mobilisation féminine isolée de la construction démocratique globale, ne saurait à elle seule asseoir un véritable leadership au féminin, ayant pour seul credo le mérite, et non des revendications réduites à des arguments de genre.

 

1.     Daoud (Zakya), Féminisme et politique au Maghreb. Soixante ans de lutte, Maisonneuve et Larose, Paris, 1994.

2.     Voir le lien pour l’article de Leila Rhiwi, « Code de la famille au Maroc : enjeu des luttes des femmes », paru dans Transversale sciences et culture, 2006. http://grit-transversales.org/article.php3?id_article=141.
Voir également Damamme (Aurélie), Genre, action collective et développement, discours et pratiques au Maroc, L’Harmattan, Paris, 2013.

3.      Notamment du Mouvement pour le tiers des sièges élus aux femmes… vers la parité, réseau constitué de plusieurs associations.